LHASA EST MORTE.
Lhasa de Sela Décédée le 1er janvier à l'âge de 37 ans. |
L'annulation de tous ses concerts prévus pour 2009 laissait présager le pire. Après une courte période de rémission, la maladie a rattrapé Lhasa de Sela, emportant l'envoûtante chanteuse au visage d'elfe.
Elle
était touchante, calme et sereine face à la maladie. Son état
s'améliorait, au point de monter sur scène lors du lancement de l'album
au Théâtre Corona, mais elle savait le combat loin d'être gagné. C'est
sans doute pourquoi elle refusait d'en parler avec les médias. Elle
avait dit vivre le cancer en toute intimité, ne se sentant pas assez
forte pour recevoir les témoignages d'autres victimes du cancer qui
auraient vu en elle une confidente, quelqu'un à qui raconter leur
expérience, ne serait-ce que pour l'encourager. Mais Lhasa ne voulait
pas que le public l'aborde pour autre chose que sa musique, une
attitude typique d'une artiste intègre, soucieuse de sa vie privée. "Elle était comme ça", confirme la chanteuse Bïa,
une amie de longue date de l'Américano-Mexicaine déménagée à Montréal
en 1991. "Je me souviens d'une rencontre survenue au début de l'année
2009, alors qu'elle était en rémission. Jamais je ne l'avais vue aussi
féminine, aussi rayonnante. Sans vouloir l'interpréter de manière
mystique, j'avais vu tout le potentiel créatif et d'émancipation en
elle. Il y avait un contraste frappant entre Lhasa, la fille de tous
les jours qui n'agissait jamais comme une vedette, et cette persona qui
montait sur scène pour nous jeter par terre. Elle était une source de
lumière incroyable." Grâce à sa voix puissante, mais aussi
désemparée, Lhasa de Sela aura permis aux Québécois de voir la musique
du monde autrement. Lancé en 1997, son premier album, intitulé La Llorona
(500 000 exemplaires vendus à travers le monde), s'est retrouvé entre
les mains de mélomanes de tous âges et de tous horizons, séduits par
son interprétation de complaintes mexicaines. "Son alliance avec le
réalisateur Yves Desrosiers (Fredric Gary Comeau, Jeszcze Raz,
Richard Desjardins) a ouvert la sensibilité des Québécois à une musique
qui n'était pas dans leur langue. Malgré cette barrière, chacun pouvait
comprendre l'émotion véhiculée par sa voix." Yves Desrosiers:
"Les belles années que j'ai vécues avec Lhasa ont été remplies de
merveilleuses surprises et de moments inoubliables, depuis ma rencontre
avec elle, dans la cuisine d'un appart du Plateau à l'automne 1992,
alors que j'entendais pour la première fois cette voix à la fois
étrange et envoûtante, jusqu'en haut de la pente qui conduisait au
succès. Je la remercie de m'avoir fait confiance." The Living Road (récemment classé troisième meilleur album de musique du monde de la dernière décennie par le quotidien londonien Times) et le disque anglophone Lhasa
ont ensuite démontré à quel point cette femme n'hésitait guère à suivre
son instinct, quitte à se réinventer. Selon Bïa, "elle était toujours
prête à recommencer son travail si elle sentait que le produit final
n'était plus sa vérité du moment". En réécoutant son troisième
opus quelques jours après sa mort, on ne peut s'empêcher d'y entendre
un folk intime, noir, aux propos teintés par la maladie (les pièces Rising et I'm Going In
en tête). Il n'en est rien. Enregistré pendant son combat, mais composé
avant que la maladie ne se déclare, l'album témoigne en grande partie
d'une rupture amoureuse difficile. C'est pourquoi Lhasa ne voyait pas
la nécessité d'aborder son cancer en entrevue. Elle préférait se
concentrer sur sa musique. Juste la musique.
Lhasa
de Sela avait toujours refusé de parler publiquement de son cancer du
sein. Rencontrée en avril dernier, alors qu'elle se sentait assez forte
pour assurer la promotion de son dernier album, l'ultime et poignant Lhasa, elle avait évité le sujet tout au long de l'entretien. Ce n'est qu'une fois l'enregistreuse éteinte, dans un contexte off the record, qu'elle avait abordé la question, du bout des lèvres.