«Je
me suis rendu dans les territoires palestiniens occupés et j’ai vu une
ségrégation raciale qui m’a rappelé avec force les conditions que nous
avons connues en Afrique du Sud à l’époque du système raciste de
l’Apartheid.»
Desmond Tutu, Prix Nobel (avril 2010)
Ce
cri du coeur de Desmond Tutu, prix Nobel de la paix en 1984, n’a pas
besoin d’être légitimé car venant de quelqu’un qui sait ce que
l’apartheid veut dire en termes d’humiliation. L’apartheid dénoncé par
Desmond Tutu est «le développement séparé de la population d’un pays, sur une base raciale ou religieuse». Il en est de même de Rony Brauman pour qui «l’actualité
d’Israël et son avenir sont un Apartheid à la sud-africaine. Il
souligne le fait que la vallée du Jourdain est actuellement
complètement colonisée par Israël. Un "Etat palestinien" ne sera donc
qu’une succession d’enclaves et l’idée israélienne est que l’Etat réel
des Palestiniens sera la Jordanie. Brauman dit qu’on assiste au suicide
lent d’Israël (...) par le choix de l’apartheid».(1)
L’apartheid
dans les faits nous est donné par une tribune écrite par Julien
Salingue, Nicolas Dot-Pouillard et Catherine Samary. Ecoutons-les: «Eric
Marty s’interroge, dans une tribune publiée le 21 avril sur Le
Monde.fr: "Le boycott d’Israël est-il de gauche?". (...) L’argumentaire
de M.Marty est aussi spécieux qu’original, et mérite un petit exercice
de "sociologie littérale". L’hostilité à Israël serait le produit d’une
"propagande antisémite systématique" dans les pays musulmans et d’un
´´flot paranoïaque d’imputations criminelles´´. L’antisémitisme existe
et nous le combattons, ainsi que l’instrumentalisation de la cause
palestinienne par des adeptes de la théorie du ´´complot juif´´. Mais
nous combattons avec la même vigueur l’amalgame entre antisémitisme et
critique d’Israël. Comment M.Marty interprète-t-il la récente enquête
de la BBC, conduite dans 28 pays, dans laquelle seuls 19% des sondés
apprécient positivement l’influence d’Israël? Une opinion mondiale
otage de la propagande antisémite ou une critique partagée de la
politique d’Israël? M.Marty affaiblit la lutte contre l’antisémitisme
en développant lui aussi une logique du ´´complot´´ et en défendant
trois des aspects les plus contestés de la politique israélienne: la
construction du mur, l’attitude de l’armée à Ghaza lors de l’opération
´´Plomb durci´´, la situation des Palestiniens d’Israël.»(2)
Avec la complicité de l’Egypte
«´´Il
n’est pas vrai que la barrière, ou le mur, de séparation relève d’une
politique de discrimination´´. M.Marty balaie allègrement les avis
d’Amnesty International, de la Croix-Rouge ou de l’ONG israélienne
B’tselem. Il fait en outre, peu de cas de l’avis de la Cour
internationale de justice (juillet 2004), qui qualifiait le mur de
´´violation du droit international´´ et demandait à Israël de le
´´démanteler immédiatement´´. Selon le dernier rapport de l’ONU, le mur
serpentera sur 709 km , alors que la ligne verte n’en mesure que 320. Par endroit, il pénètre de 22 km en Cisjordanie (large de 50 km ). 10% du territoire palestinien est annexé de facto à Israël, dont 17.000 ha
de terres auxquelles les paysans ne peuvent quasiment plus accéder.
Pour la seule partie Nord de la Cisjordanie, 220.000 villageois sont
affectés. M.Marty envisage qu’il y ait eu des crimes de guerre à Gaza,
mais c’est, ajoute-t-il, parce que ´´la guerre est criminelle´´. Le
droit international est plus exigeant, affirmant un principe que
M.Marty écarte avec légèreté: tout n’est pas permis lorsque l’on fait
la guerre.» «Or, les témoignages et rapports
d’ONG le confirment: Israël a enfreint le droit de la guerre en
déversant des bombes au phosphore blanc (considérées, y compris par les
Etats-Unis, comme des armes chimiques) sur des zones densément
peuplées, en empêchant le personnel médical de secourir de nombreux
blessés ou en utilisant des boucliers humains. Les témoignages de
soldats recueillis par l’ONG israélienne Breaking the Silence sont, à
ce titre, éloquents. De surcroît, Israël, avec la complicité de
l’Egypte, a bouclé la minuscule bande de Ghaza (360 km²), empêchant les
civils de fuir un déluge de fer et de feu. En violation totale du droit
de la guerre, le blocus se poursuit, empêchant la reconstruction et
aggravant les conditions sanitaires.»(2)
«Il
est dès lors indécent de vanter l’humanité de l’armée israélienne pour
mieux décrier le Hamas qui aurait ´´sciemment exposé les populations
civiles en s’abritant derrière elles´´. (..) Argument commode qui rend
le Hamas responsable des morts israéliens et palestiniens, et occulte
les chiffres gênants de l’opération ´´Plomb durci´´: plus de 1400 morts
côté palestinien et 13 morts côté israélien (dont quatre tués par des
´´tirs amis´´). Enfin, M.Marty affirme que les Palestiniens d’Israël
(1/5e de la population) ne sont pas victimes de discriminations
institutionnelles, mais sujets à des ´´inégalités conjoncturelles´´,
contredisant un rapport du d états-unien, daté de 2009, qui affirme que
´´les citoyens arabes d’Israël continuent de souffrir de formes variées
de discriminations´´. (...) Et que penser du fait que 13% des ´´Terres
d’Etat´´, gérées par le Fonds national juif, ne puissent être cédées
qu’à des juifs? Alors non, on ne peut pas dire n’importe quoi pour
défendre Israël. (...) La menace de ´´l’anéantissement physique´´,
premier et ultime argument de M.Marty, est l’expression la plus aboutie
de cette paranoïa. Rappelons qu’Israël est la 1re puissance militaire
du Moyen-Orient, la seule à détenir l’arme nucléaire et donc à avoir la
capacité réelle d’anéantir un autre Etat. Dans le cas palestinien,
l’argument frôle le ridicule: les Palestiniens ne possèdent ni armée,
ni avions, ni tanks. La probabilité que le Hamas ´´anéantisse
physiquement´´ l’Etat d’Israël est aussi élevée que celle de voir
l’armée luxembourgeoise prendre le contrôle de Paris.
L’instrumentalisation de la mauvaise conscience occidentale envers un
anéantissement réel passé (la Shoah) sert en fait à blanchir Israël.
(..)»(2)
Devant
cette apparente fuite en avant accélérée par le gouvernement de droite
de Netanyahu, et peut-être le sentiment que le vent commence à tourner,
pour l’impunité d’Israël, on entend «des appels»,
celui de J.Street en septembre aux Etats-Unis, mouvement qui se dresse
officiellement contre l’Aipac lobby sioniste, et qui prône une
politique israélienne à deux Etats. Pour ne pas être en reste, en
Europe à Bruxelles le 3 mai, un appel en écho à celui américain qui
regroupe toute l’intelligentsia juive européenne principalement
française qui demande à Israël d’être raisonnable. Jean Daniel dans une
Tribune explicative de l’Appel écrit: « En fait,
c’est un cri d’alarme accompagné d’une déclaration d’amour et de
fidélité. Et cela donne évidemment plus de force encore au contenu de
cet appel. (...) Il n’est question ici que de l’avenir d’Israël et de
sa sécurité, de son isolement possible et, à la rigueur, de sa
délégitimation. (...) D’abord, parce qu’il était temps de regrouper
sous une forme quelconque tous les Français juifs qui sont décidés à ne
pas laisser leur représentation confisquée par une seule institution,
en l’occurrence le Crif. (...) Or il y a comme une alliance objective
entre les ennemis extérieurs (arabes ou iraniens) et les ennemis
intérieurs (juifs israéliens ou américains) contre la sécurité
raisonnablement conçue d’Israël. (...) Certains chefs militaires, qui
ont la confiance de la Maison-Blanche, n’ont pas hésité à déclarer
publiquement que l’absence de paix entre Juifs et Palestiniens
compromettait l’efficacité du combat des troupes en Irak et en
Afghanistan. Jamais, on n’était allé aussi loin. Le moment est donc
bien choisi pour que les auteurs de l’appel à la raison puissent se
faire entendre lorsqu’ils adjurent l’Europe et les Etats-Unis de
conjuguer leurs pressions pour que, devant le danger, les Israéliens se
prononcent démocratiquement en faveur de la politique des deux Etats,
palestinien et israélien.»(3) Dans l’Appel on lit, notamment: «Le
lien à l’Etat d’Israël fait partie de notre identité. L’avenir et la
sécurité de cet Etat auquel nous sommes indéfectiblement attachés nous
préoccupent. Or, nous voyons que l’existence d’Israël est à nouveau en
danger (...) Si la décision ultime appartient au peuple souverain
d’Israël, la solidarité des juifs de la diaspora leur impose d’oeuvrer
pour que cette décision soit la bonne. (...) Nous voulons créer un
mouvement européen capable de faire entendre la voix de la raison à
tous Il a pour ambition d’oeuvrer à la survie d’Israël en tant qu’Etat
juif et démocratique, laquelle est conditionnée par la création d’un
Etat palestinien souverain et viable.»
La
lecture de cet appel et le soutien de Leïla Shahid déléguée de
l’Autorité palestinienne auprès de l’Union européenne, à cet appel m’a
incité à apporter aussi ma voix sans avoir compris le piège du mot «Etat juif démocratique». L’explication m’a été donnée par la suite.
Alain Gresh analyse cet appel. Ecoutons-le: « Le 3 mai a été présenté à Bruxelles un «Appel à la raison»,
(....) Ce texte a suscité des réactions opposées. Nous en donnerons
deux, représentatives. La première vient de Richard Prasquier, le
président du Crif et a été publiée par Le Figaro (30 avril 2010), sous
le titre «Contre l’appel des Juifs européens» et reproduit sur le site du Crif: «Voici
longtemps que le Crif s’était prononcé en faveur du principe ´´deux
peuples, deux Etats. La grande majorité des Israéliens y souscrivent,
le chef du gouvernement Benjamin Netanyahu l’a publiquement annoncé. La
majorité des Palestiniens, malheureusement n’y souscrivent pas.» Il reprend ainsi le point de vue d’Elie Wiesel «(...)Dans
la nécessaire et difficile négociation que nous appelons de nos voeux,
il ne suffira pas pour que la paix puisse s’espérer et perdurer qu’on
mette un terme à des constructions qui ne gênent objectivement
personne...» Vous avez bien lu, des « constructions qui ne gênent objectivement personne »...Ni
les Palestiniens expropriés de leurs terres, ni ceux qui doivent
contourner les colonies pour pouvoir circuler en Cisjordanie...Ils ne
sont sans doute gênés que subjectivement parce que, en réalité, ils
haïssent les juifs...(..) La liste des signataires de l’appel de JCall
pose problème. Elle mêle un Bernard-Henri Lévy qui, sur un char
israélien, entrait dans Ghaza à l’hiver 2008-2009 et un historien comme
Zeev Sternhell, dont les positions ont toujours été plus déterminées et
critiques de la politique israélienne. Pour sa part, Leïla Shahid, a
déclaré, «A travers JCall il y a un interlocuteur pour les Palestiniens»(4)
Dans une réponse contre l’Appel, l’Union juive française pour la paix écrit: « Dans
cet état d’esprit, il a été lancé au niveau européen un appel "Jcall".
(...) Cet appel dénonçant la colonisation ininterrompue de la
Cisjordanie, il ébranle le monolithisme arrogant du Crif (...)
Toutefois, l’Union juive française pour la paix ne peut apporter sa
signature à ce texte ni le soutenir de quelque façon que ce soit. En
effet, il se présente clairement comme une façon de faire accepter au
monde un "Etat juif et démocratique" dont les Juifs du monde entier
seraient par définition solidaires, un Etat démocratique pour les Juifs
mais juif au regard des Palestiniens. Les Palestiniens sont les grands
absents de ce texte, Ghaza n’y existe pas, le droit des réfugiés n’y
existe pas, le droit de tous les habitants d’Israël à une citoyenneté
complète n’y existe pas. Pire, le texte estime que la décision finale
n’appartient qu’aux Israéliens, ne donnant aucune voix au chapitre aux
Palestiniens. Car ses rédacteurs l’écrivent clairement, ce qui les
guide c’est sauver l’existence et la sécurité de l’Etat d’Israël, c’est
la crainte d’un processus de délégitimation de cet Etat. Pour l’UJFP,
le peuple israélien ne peut espérer une paix durable qu’en acceptant
une solution faisant droit aux revendications légitimes du peuple
palestinien. Le rôle des Juifs dans le monde n’est pas d’entretenir le
peuple israélien dans l’idée suicidaire que sa mission serait d’établir
entre Méditerranée et Jourdain un Etat juif refuge exempté de toute
obligation de respect des règles du droit international et de simple
humanité à l’égard d’un peuple qu’il continue d’ignorer.»(5)
Pour sa part, Daniel Salvatore Schiffer sur son blog dénonce l’hypocrisie des intellectuels juifs: « L’«Appel à la Raison»:
tel est le nom que les initiateurs, (...)pour la paix au Proche-Orient
ont donné, au grand dam, notamment du Crif à une pétition osant
critiquer publiquement la politique étrangère actuellement menée, au vu
de ses colonisations en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, par Israël.
Soit. Jusque-là, rien à redire, pour ma part, même si une tout aussi
légitime contre-pétition, intitulée «Raison Garder» (..)
a aussitôt vu le jour, attribuant, quant à elle, la responsabilité de
l’échec du processus de paix aux seuls Palestiniens. Mais ce qui
frappe, en revan che, dans la première pétition, lancée donc par le
Jcall c’est que, parmi ses signataires, se retrouvent également, toutes
tendances politiques confondues et par-delà tout clivage idéologique,
des noms (outre ceux d’Elie Barnavi, de Daniel Cohn-Bendit ou d’Ivan
Levaï) tels qu’Alain Finkielkraut et Bernard-Henri Lévy, ardents et
même inconditionnels défenseurs, jusque-là, d’Israël ».
«Ne touchez pas à mon Israël»
« Car, en ce qui concerne ces deux derniers, on ne les entendit guère, sauf pour justifier envers et contre
tout Israël, lorsque Tsahal bombarda de façon disproportionnée, durant
l’été 2006, le Sud Liban pour se protéger des roquettes lancées sur son
territoire par les fanatiques du Hezbollah. C’est d’ailleurs là ce qui
me poussa à écrire, le 20 juillet 2006, un article intitulé,
précisément, L’assourdissant silence des intellectuels, papier où je
faisais alors allusion notamment, quoique sans jamais les y mentionner
nommément, à un Finkielkraut et à un Lévy! (...) Mais, surtout, comment
concilier, logiquement et sans contradiction aucune, cette tardive
prise de position de la part de Bernard-Henri Lévy, artisan là d’un
énième virage de cuti, avec ce qu’il clame, par exemple, en ses
récentes Pièces d’identité et, plus exactement encore, dans sa partie
ayant pour très emblématique titre Le génie du judaïsme, dès lors qu’il
y prône un Etat d’Israël essentiellement «intouchable»,
comme un absolu ontologiquement exempt de toute possible critique,
fût-elle des plus rationnelles, et y défend même, à l’instar de ce
qu’il soutenait déjà dans son plus ancien Testament de Dieu, la très
audacieuse thèse d’un judaïsme doté d’une primauté
métaphysico-théologique par rapport à ces deux autres monothéismes que
sont, historiquement, le christianisme et l’islam? ». (6)
Où
en sommes-nous après les remous calculés et les pétitions et
contre-pétitions programmées pour donner l’illusion d’un débat qui
n’est plus monolithique mais qui au fond, ne change rien à l’affaire.
On dit que les pays de la Ligue arabe ont approuvé le 1er mai la tenue
de «discussions de proximité». Abou Mazen négociera jusqu’à la prochaine provocation d’Israël qui sera en définitive adoubée par l’Occident. Jusquà quand?
Notes
1. http://www.dailymotion.com/video/xd75x1_rony-brauman-critique-severement?start=1
2. J.Salingue, N.Dot-Pouillard, Peut-on tout dire pour défendre Israël? Le Monde 27.04.10
3. Jean Daniel: Pour sauver Israël. Le NouvelObs. 2010-04-30
4. Alain Gresh JCall, analyses d’un appel http://blog.mondediplo.net/05-05.-2010
5. Union juive française pour la paix: JCall appelle à la raison: quelle raison? 29.04.2010.
6. Daniel Salvatore Schiffer: Israël, les intellectuels et la raison Agoravox 3 mai 2010
Pr Chems Eddine Chitour : Ecole Polytechnique enp-edu.dz
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