Lettre MAF de Versailles
le 15 avril 2010
J’ai passé une sale semaine.
A Fleury, j’avais fait la connaissance d’une fille sympa, Soussou.
Celle-ci faisait toutes les démarches auprès de son juge pour venir à
Versailles pour rejoindre sa sœur qui y était incarcérée aussi. Quand je
suis arrivée, elle était au service général avec sa sœur, tout se
passait bien ; mais comme c’était la détenue qui n’avait pas la langue
dans sa poche, comme on dit, et qui n’hésitait pas à dire ce qu’elle
pensait, et qui ne cautionnait pas les rapports que pouvaient avoir
certaines surveillantes avec des détenues, tout de suite et très vite,
le ton est monté.
Le mardi, on m’appelle « en urgence » pour me demander de prendre avec moi Soussou,
car on lui avait promis d’attendre trois semaines, le temps que ça se
calme, avant de pouvoir réintégrer la cellule de sa sœur. Faut dire
qu’entre-temps, elle avait intégré une autre cellule de six, donc en une
semaine, deux changements pour elle.
Le mardi donc, j’accepte de la prendre avec moi, plus pour elle que pour
eux, car je voulais vraiment que ça s’arrange pour elle. J’essayais de
lui dire de patienter, de laisser calmer les choses, histoire de «
laisser passer l’orage » comme ils disent. Bref, tout se passait bien en
cellule, elle était résignée à attendre pour rejoindre sa sœur.
Le vendredi, on va à la douche, et en remontant on m’appelle. Je vois le
gradé et il me demande d’aller au parloir avocat car Soussou va être
transférée à Fresnes ; rebelote pour elle. Sans pitié, ils n’ont même
pas cherché à parler avec elle : « Transfert, préparez vos affaires ! »
La raison, on ne sait pas trop. Élément trop perturbateur ! Mais le côté
humain, il est où ? Comment voulez-vous que les gens ne pètent pas un
plomb, quand on voit ce genre d’injustice ? Parce qu’on n’est pas
d’accord avec leur façon de procéder ou de faire et qu’on a le malheur
de dire haut et fort les choses, on t’écarte ! Mais c’est quoi, ça ?
Personnellement, j’étais choquée. Ça m’a fait mal pour Soussou et
j’avais encore plus la rage parce que moi, ils m’ont prise pour une
conne. Ce jour-là, je les ai tous regardés un par un, sous-directrice
comprise, gradés, surveillantes, toutes : « Vous me demandez encore une
fois de faire l’assistante sociale à votre place, on verra, plus
personne ne rentrera dans la cellule jusqu’à mon départ en centrale. »
Car le jour où on m’a ramené Soussou en cellule, j’ai demandé à partir ;
pendant toute mon incarcération ici, j’ai toujours émis le souhait de
rester seule. Officiellement, c’est oui, mais officieusement c’est autre
chose. Je suis fatiguée de toute cette mascarade, de cette façon dont
on t’utilise, toi, détenue, pour gérer les problèmes qu’ils n’arrivent
même pas à gérer eux-mêmes. Je ne suis pas dupe, et encore moins bête
pour comprendre qu’ils se servent de toi comme d’une marionnette.
[...] Bref, là je suis en mode dégoûté, mais vraiment. J’ai fait mon
courrier pour confirmer que je voulais partir à Rennes. Le greffe me
répond que mon dossier est en cours, ça c’est jeudi. Le vendredi matin,
je vois la SPIP, elle me dit qu’on ne lui a rien transmis comme dossier ;
elle-même ne comprend pas car c’est elle la première qui doit faire le
nécessaire. Allez comprendre !
Depuis, j’ai posé ma démission, je ne veux plus participer et cautionner
cette hypocrisie générale. Je ne veux plus qu’on m’utilise. En restant
dans cet atelier, je suis sûre et certaine qu’ils auraient freiné ma
demande de transfert. Tes états d’âme ; ils s’en foutent, ici ils ne
pensent qu’à leurs intérêts personnels.
Dernière chose, je m’adresse à tous les détenus qui croient que ce sont
les surveillantes qui vont les libérer de prison et je parle en
connaissance de cause. À toutes les détenues qui passent leur temps dans
les bureaux des gradés et qui prennent parti pour les surveillantes
alors qu’un détenu comme toi, en face, se bat pour ses droits…
franchement, la roue elle tourne. N’oublie jamais la ligne que tu ne
dois pas franchir entre elles et toi. Le jour où y aura un problème,
quelles que soient vos relations de copinage, malsaines quelquefois,
elles mettront les casques, te soulèveront et fermeront la porte comme
elles le font chaque soir !
Celles et ceux qui écoutent se reconnaîtront. Dans la vie, il faut
choisir son camp, et y a des camps que tu ne pourras jamais franchir
complètement, tu resteras toujours de côté, ou sur la ligne, car ta
personnalité, toi-même tu ne la connais pas, et tu n’es pas libre de tes
opinions. Comprend qui veut, comprend qui peut !
Ah oui, j’avais oublié de vous dire que le soir où on m’a mis Soussou
dans la cellule, la gradée (une détenue me l’a confirmé ce matin, et ce
sont les propres mots de l’intéressée) s’est permis de rester toute la
soirée derrière la porte pour écouter notre conversation. Voilà les
nouvelles méthodes de l’administration pénitentiaire : écouter aux
portes. En plus de nous surveiller jour et nuit, ils nous écoutent à
quatre pattes derrière la porte.
Sans commentaire.
Salutations fraternelles
Kaoutar