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Libre rage ( relais et point de chute !)
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Libre rage ( relais et point de chute !)
15 avril 2013

ARAGON. Que la vie en vaut la peine.

 

C'est une chose étrange à la fin que le monde

 

Un jour je m'en irai sans en avoir tout dit

 

Ces moments de bonheur ces midis d'incendie

 

La nuit immense et noire aux déchirures blondes.

 

 

 

Rien n'est si précieux peut-être qu'on le croit

 

D'autres viennent. Ils ont le cœur que j'ai moi-même

 

Ils savent toucher l'herbe et dire je vous aime

 

Et rêver dans le soir où s'éteignent des voix.

 

 

 

D'autres qui referont comme moi le voyage

 

D'autres qui souriront d'un enfant rencontré

 

Qui se retourneront pour leur nom murmuré

 

D'autres qui lèveront les yeux vers les nuages.

 

 

 

II y aura toujours un couple frémissant

 

Pour qui ce matin-là sera l'aube première

 

II y aura toujours l'eau le vent la lumière

 

Rien ne passe après tout si ce n'est le passant.

 

 

 

C'est une chose au fond, que je ne puis comprendre

 

Cette peur de mourir que les gens ont en eux

 

Comme si ce n'était pas assez merveilleux

 

Que le ciel un moment nous ait paru si tendre.

 

 

 

Oui je sais cela peut sembler court un moment

 

Nous sommes ainsi faits que la joie et la peine

 

Fuient comme un vin menteur de la coupe trop pleine

 

Et la mer à nos soifs n'est qu'un commencement.

 

 

 

Mais pourtant malgré tout malgré les temps farouches

 

Le sac lourd à l'échine et le cœur dévasté

 

Cet impossible choix d'être et d'avoir été

 

Et la douleur qui laisse une ride à la bouche.

 

 

 

Malgré la guerre et l'injustice et l'insomnie

 

Où l'on porte rongeant votre cœur ce renard

 

L'amertume et Dieu sait si je l'ai pour ma part

 

Porté comme un enfant volé toute ma vie.

 

 

 

Malgré la méchanceté des gens et les rires

 

Quand on trébuche et les monstrueuses raisons

 

Qu'on vous oppose pour vous faire une prison

 

De ce qu'on aime et de ce qu'on croit un martyre.

 

 

 

Malgré les jours maudits qui sont des puits sans fond

 

Malgré ces nuits sans fin à regarder la haine

 

Malgré les ennemis les compagnons de chaînes

 

Mon Dieu mon Dieu qui ne savent pas ce qu'ils font.

 

 

 

Malgré l'âge et lorsque, soudain le cœur vous flanche

 

L'entourage prêt à tout croire à donner tort

 

Indifférent à cette chose qui vous mord

 

Simple histoire de prendre sur vous sa revanche.

 

 

 

La cruauté générale et les saloperies

 

Qu'on vous jette on ne sait trop qui faisant école

 

Malgré ce qu'on a pensé souffert les idées folles

 

Sans pouvoir soulager d'une injure ou d'un cri.

 

 

 

Cet enfer Malgré tout cauchemars et blessures

 

Les séparations les deuils les camouflets

 

Et tout ce qu'on voulait pourtant ce qu'on voulait

 

De toute sa croyance imbécile à l'azur.

 

 

 

Malgré tout je vous dis que cette vie fut telle

 

Qu'à qui voudra m'entendre à qui je parle ici

 

N'ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci

 

Je dirai malgré tout que cette vie fut belle.

 

 

 

Louis ARAGON in Les yeux et la mémoire – Chant II – 1954 .

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