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Libre rage ( relais et point de chute !)
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Libre rage ( relais et point de chute !)
22 septembre 2008

LA LETTRE DE TEMESGHEN (Retour sur les évènements de Calais)

CALAIS, 15 Septembre 2008

Je vous écris d’un coin de l’enfer, battu par les vents et les mers, et les cris des mouettes qui se déchirent à travers les gouttes de pluie, - à moins qu’ils ne s’agissent d’oiseaux de nuit, volant toujours plus haut, aux brumes et lisières, et qui pourtant ne cessent de se perdre. Je vous écris d’une ville de fuites, où j’ère et me terre, car devant toujours partir, toujours là, dans une course éperdue, jusqu’à bout de souffle. Je vous « écris », est-ce là le bon mot ? « Ecrire », j’essaie, parce qu’il faut le dire, ici, ici les mots n’ont plus le même sens. Ils traînent et vagabondent comme nos errances, ils se dédoublent, s’épient parfois : la langue trébuche et les idées se brouillent. Oui, c’est vrai, il faut se souvenir d’où l’on vient afin de ne pas perdre le cap. Je vous écris d’une ville du nord, Calais, point de passage obligé de centaines de personnes, venues des coins du monde, les « migrants » comme vous dites. Je vous écris car à aucun moment il ne nous a été donné de prendre la parole. Pas une seule fois, à aucun moment, les journalistes ne sont venus nous voir, nous ont demandé ce que nous pensions, ce que nous ressentions, ce que nous savions des faits survenus. Pourquoi ? Ce n’était sans doute pas la peine. Ce n’était sans doute pas nécessaire. Ici, il y a quelques semaines en effet, une jeune journaliste en reportage a été violée par une personne d’origine Afghane, dans ce que tout le monde appelle « la jungle. » De nombreux articles ont été écrits sur cette affaire, qui sont parus dans de nombreux journaux. De nombreuses personnes, appartenant au monde des médias ou au monde associatif ont été interrogées et ont donné leur point de vue sur les faits, leur version des faits… Mais personne n’est venu nous voir. D’ici, je vous écris pour prendre la parole et vous dire que je ne connaissais pas cette personne. Que je l’avais vu de loin, à plusieurs reprises, et n’avais ressenti le besoin où la nécessité de la rencontrer. Il s’agissait pour moi, pour nous, d’une journaliste de plus qui, comme il peut y en avoir des dizaines chaque année, venait faire les sempiternelles images des « migrants » en train de prendre des camions, de dormir dans la rue, dans la jungle, de manger aux soupes populaires… Calais, c’est le cinéma, les sunlights, les tournages permanents, les photographes et journalistes souvent à l’affût, en planque…. Elle est venu une fois dans la « maison des Africains » (ce fameux « squatt » où une journaliste a déclarée dans un article du journal Libération qu’elle avait renoncé à y aller car trop « dangereux ». Il faut dire avec force qu’il n’y a jamais eu aucune agression à l’encontre d’une femme ou d’un homme, sinon à notre propre endroit. Il me faudrait ici parler des multiples ratonnades qui ont eu lieu ces derniers mois, et qui ont notamment coûté un œil à un de mes amis !), pour prendre des photos, et nous lui avons dit non, nous lui avons demandé de partir. On en pouvait plus. C’est tout. Après je ne sais pas. Sans doute a-t-elle noué des contacts avec les Afghans dans la jungle. D’ici, je vous écris pour prendre la parole et vous dire qu’il s’agit d’un drame horrible, affreux, et qui a touché toutes les personnes présentes : femmes, jeunes et moins jeunes. Hommes, jeunes et moins jeunes. Croyez-vous que nous ne puissions comprendre et être saisis par la douleur de cette jeune femme ? Que nous ne savons pas ce que c’est que de subir ? Savez-vous ce que nos femmes, et parfois nos hommes ont enduré au plus profond de leur chair au cours des traversées des déserts du Soudan, de Lybie, parfois de la Méditérrannée ? Croyez-vous que nous n’ayons rien à dire sur cet événement, profondément injuste? Injuste pour elle qui, comme toute personne, ne méritait pas d’être frappée par une telle chose. Injuste pour nous qui nous retrouvons une nouvelle fois stigmatisés. D’ici, je vous écris pour prendre la parole et vous dire que nous sommes effrayés. Oui, nous sommes effrayés. Nous courons. J’ai peur. Je le dis. Je l’écris. Mais vous le savez déjà. Que va-t-on encore penser de nous ? On nous prend déjà pour des criminels, des terroristes. Le doute, la suspicion planent sur nous, des regards accusateurs se fixent sur nous. Pourquoi devrions-nous, nous les « migrants », être meilleurs ou plus dangereux que le peuple de Françe ? Comme partout dans le monde, comme partout en France, il existe des gens merveilleux et des gens moins bien. Comme partout dans le monde, comme partout en France, ces drames se produisent fréquemment. Comme partout dans le monde, comme partout en France, il existe, malheureusement, injustement, des lieux, des situations, où une femme risque d’être plus exposée, où une femme ne doit pas se rendre seule. Oui, d’ici, je vous écris pour prendre la parole et vous dire que les responsables se doivent d’être retrouvés et jugés. L’auteur du méfait bien sûr, mais aussi les responsables qui font de ce coin de France une annexe de l’enfer. Oui, doivent être jugés la France et aussi l’Europe, dont les politiques font que nous vivons pire que des chiens. Dog life. Not an European dog. An African dog ! Oui, d’ici je vous écris pour vous dire ce que vous savez déjà: nous sommes jours après jours pourchassés, gazés, arrêtés, blessés, relâchés, harcelés, arrêtés de nouveaux, nos « rooms » sont détruites, nous les reconstruisons pour quelles soient de nouveau détruites… Nous sommes chaque jours de plus en plus malades, et jusqu’à ces maladies que vous ne connaissiez plus : 10 cas de tuberculose. Dog Life. Dire, dire que l’association Salam vient d’installer pour un mois, trois toilettes sur le lieu de distribution des repas, pour montrer au nouveau Maire, que cela ne créera pas un « appel d’air », que c’est possible. De l’air ? Il n’y en aura jamais assez. L’atmosphère est emplit de souffre. Et puis, et puis… Louam. Louam, mon amie Louam, décédée en juin de l’année dernière, fauchée par une voiture sur l’autoroute alors qu’effrayée, elle fuyait la police qui la chassait... Louam, qui aurait aujourd’hui 21 ans. Louam. Pas une seule fois les journalistes ne sont venu nous voir. Pas une seule fois ils nous ont demandé ce qui s’était passé, ce que nous savions, ce que nous pensions, ce que nous ressentions. Oui, je vous écris d’un coin de l’enfer, pour prendre enfin la parole. Dieu m’entend. Il m’attend. Mon nom est Temesghen. J’ai 26 ans. Je viens d’Erythrée. Je dors dans une vieille bâtisse désaffectée et pourrie, qui jouxte un chantier de construction. Des résidences sortent actuellement de terre.

Elles vont s’appeler le « Clos Saint Pierre ».

Je m’appelle Temesghen B. Temesghen. Cela signifie en Erythréen : Loué soit le Seigneur.

Temesghen B. Sylvain George. Ecrite à quatre mains (écriture et traduction en simultanée)

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