Jérusalem - 22-04-2009 -Nettoyage ethnique, une maison à la fois
La
maison de la famille Jaber se trouve dans le quartier Sadiyya, à
l’intérieur du quartier musulman de la Vieille Ville de Jérusalem.
C'est là qu'ont vécu, depuis 1930, trois membres de la famille Jaber,
ainsi que la famille Karaki, avec leurs parents, et plus tard leurs
épouses et leurs enfants. Comme la plupart des maisons de la Vieille
Ville, l’espace résidentiel comprend une cour ouverte qui est partagée
par les résidents de la maison.
La famille Jaber devant son appartement occupé par les colons israéliens (photo Marcy Newman).
Il y a six ans, la police
israélienne est arrivée dans la maison et a dit à Nasser Jaber que sa
maison n’appartenait plus à sa famille, mais à un colon israélien de
l’organisation coloniale messianique d’extrême-droite Ateret Cohanim,
dont l’idéologie raciste est strictement alignée sur celle du Kach,
parti politique qui plaide pour l’expulsion des Palestiniens. Mais
quand le tribunal colonial israélien a envoyé la police sur place pour
enquêter, il a décidé que la maison appartenait, bien sûr, à la famille
Jaber.
Le scénario s’est répété l’année suivante, en 2004,
lorsque le juge est revenu enquêter sur qui était le propriétaire de la
maison. Une fois encore, après avoir visité la maison et vu les
documents, il a été décidé que la maison appartenait à la famille
Jaber. Mais l’histoire ne s’est pas arrêté la.
Le 2 avril,
pendant que Nasser était chez sa mère dans le quartier voisin de Wadi
Joz, 42 colons israéliens de Ataret Cohanim, armés de fusils d’assaut
M-16, ont enfoncé la porte de la maison et se sont emparés de
l’appartement qui appartient à Hazem Jaber. Il était 2h30 du matin et
ils aient aidé par les forces spéciales israéliennes.
La
mosquée voisine a alerté les familles du secteur et une bataille s’en
est suivie dans la rue. 20 Palestiniens, dont des femmes et des
enfants, ont été bastonnés par les forces spéciales et 7 ont été
arrêtés, dont Nasser, ses frères et son fils. Sami Al-Jundi, un des
voisins de Nasser qui a été matraqué, a observé : « Ils n’ont pas
utilisé de balles réelles ou de grenades lacrymogènes. A la place, ils
nous ont frappés avec des matraques et nous ont aspergés de gaz
paralysant au poivre. Ils savent que si le sang palestinien est répandu
dans les rues de la Vieille Ville, une troisième Intifada suivra. »
Umm
Alaa Jaber, qui s’est mariée dans la famille il y a 55 ans, dont la
noce et la naissance de ses 9 enfants ont eu lieu dans cette même
maison, croit que la lutte pour la maison et le quartier vise à les
forcer à se soumettre. Elle remarque : « C’est exactement comme à
Gaza. Ce qui se passe ici est comme à Gaza. Celui qui bouge est
tabassé. Et ils frappent les enfants pour qu’ils aient peur de lutter
contre l’occupation. Maintenant, ils expriment leur haine à l’intérieur
de notre maison. » La situation a été particulièrement dure pour
les femmes des familles Jaber et Karaki, qui ont dû endurer que des
hommes étrangers occupent leur maison et envahissent leur espace privé.
Umm Alaa dit de ce calvaire : « Mes yeux sont fatigués de larmes. Mon cœur aussi. »
Avec
deux colons israéliens occupant déjà illégalement des maisons
palestiniens à quelques portes de la famille Jaber, une des maisons
depuis les années 1980, les Palestiniens du quartier Sadiyya font
ensemble des démarches pour que ce ne soit pas le sort de la maison
Jaber. Ils ont d’abord réussi à foutre les colons dehors, mais la
semaine dernière, le tribunal a décidé que chacune des familles – les
Jaber et les colons – pourraient avoir des gardes dans la maison. C’est
ainsi que Ateret Cohanim a envoyé des membres d’une compagnie de
sécurité privée armés de M-16 pour garder l’appartement de Hazem Jaber,
à l’intérieur de la maison. Les Palestiniens cependant ne sont pas
légalement autorisés à avoir des armes, et il n’y a pas de compagnie
privée de sécurité palestinienne qui pourrait protéger la famille
Jaber. Bien que, selon les Jaber, le groupe israélien Peace Now ait promis d’envoyer des gardes, la famille dit qu’ils ne l’ont pas encore fait.
Nasser
Jaber espérait que son audience au tribunal la semaine dernière aurait
réaffirmé que sa maison appartient à sa famille. Au lieu de cela, la
date de la prise de décision a été repoussée à cette semaine. C’est la
troisième fois que le tribunal a reporté la décision depuis le 2 avril.
Pour Nasser et sa famille, ainsi que pour les gens du quartier, ce
n’est pas seulement la maison qui est en jeu. Nasser dit : « Lorsque
nous parlons de la situation de notre maison, nous parlons aussi de la
situation de tout le pays, dans chaque village, dans chaque maison. »
Bien
sûr, la maison de la famille Jaber est un symbole de la lutte pour
résister aux pratiques de nettoyage ethnique du régime colonialiste
israélien. Contrairement aux quartiers voisins Silwan ou Sheikh Jarrah,
où des centaines de familles palestiniennes ont reçu des ordres
d’expulsion – parce que leurs maisons seront démolies pour que les
colonisateurs israéliens puissent occuper la terre – à l’intérieur de
la Vieille Ville, le rythme de cette annexion rampante est plus lent,
mais tout aussi grave.
Dans la Vieille Ville, comme ailleurs,
les tribunaux, la police et les colons travaillent de concert pour
déposséder encore davantage les Palestiniens. Mais sans une force de
police ou un système juridique qui protège les Palestiniens de
Jérusalem, et sans la possibilité pour la plupart des Palestiniens de
se rendre dans leur ville capitale, il est bien plus difficile pour les
Palestiniens de résister à la mainmise de leurs maisons de la même
manière coordonnée. Néanmoins, les Palestiniens, dans chacun de ces
quartiers menacés, sont déterminés à se battre pour leur droit
d’exister sur leur terre.
Ce qui est significatif dans la
bataille de la famille Jaber pour sa maison est la façon dont cette
lutte est emblématique du processus double qu’utilise Israël pour
judaïser la terre : annexion rampante et négociations reportées. Depuis
qu’Israël occupe la Cisjordanie et la Bande de Gaza, ainsi que les
autres territoires arabes, le nettoyage ethnique a été constant mais
lent, contrairement au déracinement de centaines de milliers de
Palestiniens en 1948 et 1967. Une maison ou un quartier à la fois, les
Palestiniens sont chassés de leur terre. Et tout comme la famille Jaber
voit le tribunal repousser continuellement la décision sur sa maison,
au cours des 16 dernières années, les Palestiniens ont fait
l’expérience des réalités du processus d’Oslo comme d’un processus
dilatoire.
Bien que pour trop de gens Oslo signifie « processus de paix »,
pour les Palestiniens, Oslo a été une escalade dans la confiscation de
la terre, parmi d’autres. Sous Oslo, Israël a continuellement repoussé
les négociations sur les questions centrales qui auraient conduit à une
solution juste, en particulier sur le droit au retour des réfugiés
palestiniens et Jérusalem.
Les Palestiniens du quartier
Sadiyya ne savent que trop bien que retard signifie que les
colonisateurs israéliens utilisent ce processus pour établir davantage
de faits accomplis. Mais les habitants de Sadiyya ont juré de continuer
leur résistance pour soutenir leurs voisins parce qu’ils savent que ce
n’est pas seulement la lutte pour les Jaber, mais aussi pour leur
ville, et pour leur pays.
Par Marcy Newman
Le docteur Marcy Newman est maître de conférences en anglais à l’Université nationale An-Najah à Naplouse.
Le blog de Marcy Newman : "Body on the Line".
Source : Electronic Initifada
Traduction : MR pour ISM