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Libre rage ( relais et point de chute !)
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Libre rage ( relais et point de chute !)
22 janvier 2010

Iran : la révolution cachée

Reporter, fondateur du Bondy Blog, Serge Michel est un spécialiste
reconnu de l’Iran. Il met ces jours-ci la dernière main à un livre sur
ce pays. Premier volet d’une chronique hebdomadaire consacrée à la
société iranienne en plein bouleversement.

Depuis quelques temps, je passe chacune de mes nuits sur Internet
pour scruter ce qui se passe en Iran. Ce que je découvre est parfois
tellement étonnant que je vais essayer de le partager dans cette
chronique hebdomadaire pour le Bondy Blog. L’Iran est actuellement le
théâtre d’une lutte pour la liberté absolument unique au Moyen-Orient.
Même si le régime tient solidement en place et n’a pas utilisé, loin
de là, tout son éventail de moyens de répression, l’opposition, le «
mouvement vert », comme il se nomme lui-même, fait preuve d’un courage
et d’une inventivité qui auront tôt ou tard des conséquences majeures.

L’Iran, de ce point de vue, s’est toujours montré à l’avant-garde.
Entre 1905 et 1911 a eu lieu la « révolution constitutionnelle », un
mouvement très en avance sur son temps et qui a limité le pouvoir de
la dynastie Qadjar avant d’en précipiter la fin. En 1951, le premier
ministre Mohamad Mossadegh a procédé à la nationalisation du pétrole,
avant que Nasser ne fasse de même avec le Canal de Suez. Il a été
renversé par un coup d’Etat ourdi par la CIA mais son œuvre
visionnaire a inspiré tous les futurs producteurs de l’OPEP. En 1979,
la révolution islamique était elle aussi, à sa manière, avant-
gardiste, avec des répercussions considérables dans le monde musulman
et la géopolitique mondiale.

Le mouvement vert, qui tente aujourd’hui de faire tenir à la
République islamique sa promesse… républicaine, est à considérer dans
cette lignée d’innovations et de maturité politique. Entièrement
pacifiste, il utilise les derniers outils mis à sa disposition par
Internet - Twitter, Youtube, Facebook, pour citer les principaux. Sa
capacité de mobilisation, sa détermination et le simple fait qu’il est
plus fort que jamais trente-huit semaines après les élections
contestées du 12 juin 2009 ont surpris tout le monde, à commencer par
le régime iranien, malgré une centaine de morts parmi les manifestants
et plus de 4000 arrestations.

Or les médias traditionnels ont de la peine à suivre les événements de
Téhéran, parce que leurs sources traditionnelles, agences de presse ou
envoyés spéciaux, sont soumises à des restrictions drastiques par les
autorités. Aucun visa de presse n’a ainsi été émis par l’ambassade
d’Iran à Paris depuis juin dernier. Les « verts » l’ont bien compris.
A l’automne, un manifestant a été photographié tenant cette pancarte :
« Vous pouvez bannir les médias étrangers, mais pas nos téléphones et
nos appareils de photo. Chacun d’entre nous sera un reporter (ci-
contre). »

Cette chronique va tenter, modestement, de rendre compte des
principaux événements et se veut un hommage aux Iraniens qui nous
donnent, en passant, une sacrée leçon d’innovation médiatique et
politique. Et aussi d’humour : que l’on songe seulement à la vague
d’hommes iraniens qui se sont affichés en tchador sur Internet lorsque
le leader étudiant Majid Tavakkoli a été arrêté le 7 décembre. Le
régime l’a accusé d’avoir cherché à fuir l’université déguisé en femme
et a publié sa photo en tchador, pour le ridiculiser. C’était sans
compter l’effet boomerang de centaines d’autres Iraniens.

Cette longue introduction limite la place qu’il me reste pour le
compte rendu de cette semaine. Allons donc à l’essentiel.

1. L’assassinat du physicien nucléaire Massoud Ali-Mohammadi, le 12
janvier, continue de faire couler beaucoup d’encre digitale. Le régime
et l’opposition ont tous deux clamé que ce professeur de 50 ans était
des leurs. Sauf que c’est l’opposition qui a raison : Ali-Mohammadi
avait signé une lettre de soutien à Mir-Hossein Moussavi en juin
dernier. D’ailleurs, plusieurs sites web rapportent qu’un groupe de
professeurs d’université portent désormais sur eux une lettre disant :
« Si je suis retrouvé mort en raison d’une bombe, d’une balle, d’une
chute du dernier étage, d’une strangulation ou d’une dissolution dans
l’acide, sachez que A) je ne suis pas un physicien nucléaire et B) je
ne suis pas un supporter d’Ahmadinejad. »

Blague à part, des détails intéressants sont en train d’émerger sur le
travail du professeur, et notamment son mandat pour représenter l’Iran
dans le projet SESAME en Jordanie. Le but de cet organisme supervisé
par l’Unesco et un ancien directeur du CERN, à Genève, est de
construire un accélérateur de particules (synchrotron léger) pour les
sciences expérimentales. Neuf pays sont parties prenantes, dont l’Iran
et… Israël. La version officielle veut que les représentants des deux
pays se côtoyaient mais ne se parlaient pas. La version officieuse est
différente.

2. Sur twitter, on apprend qu’au moins six professeurs de la grande
université Allameh Tabatabai ont été suspendus de leurs fonctions.
Cette université compte 15 000 étudiants, elle est considérée comme la
meilleure dans les matières suivantes : économie, commerce, droit et
psychologie.

3. Le journal  Tehran Emrouz (Téhéran aujourd’hui) pourrait bien avoir
de nouveaux problèmes, parce qu’un de ses concurrents plus
conservateur estime que son nouveau logo fait penser à une femme qui
danse. Tehran Emrouz appartient au maire de la capitale, Mohsen
Qalibaf, ancien chef de la police nationale, un conservateur qui est
toutefois opposé au président Mahmoud Ahmadinejad. Son journal avait
été fermé en juin 2008 pour six mois à a suite d’un dossier jugé «
insultant » sur le bilan des trois ans du président. Le logo est
reproduit ci-contre et je laisse les lecteurs juger de son niveau
pornographique.

4. Les fissures se multiplient au sein du régime, au point que le
Guide suprême Ali Khamenei a dû battre le rappel à l’ordre. Tous ceux
qui portent des responsabilités au sein de « l’élite » doivent cesser
de tenir des propos ambigus et rejoindre notre camp, dit-il en
substance. En effet, de nombreuses voix se sont élevées pour protester
contre l’utilisation de l’accusation de mohareb (en guerre contre
Dieu) à l’encontre de seize manifestants. Selon la charia, la punition
des mohareb, c’est la mort.

D’autre part, le torchon brûle entre le député conservateur Ali
Motahari, qui a durement critiqué Mahmoud Ahmadinejad et le plus
proche collaborateur du président, Esfandiar Rahim-Mashai, accusé de
corruption morale, d’enrichissement personnel et d’avoir placé ses
enfants à la tête d’un des principaux constructeurs automobile du
pays. Enfin, 55 députés demandent que Said Mortazavi, ancien procureur
de Téhéran, responsable de la mort d’au moins trois détenus dans la
prison de Kahrizak, et sans doute du viol de beaucoup d’autres, soit
poursuivi par la justice.

Tout cela fait suite aux déclarations fracassantes du député
réformateur Javad Ettaat à la télévision nationale, seule fenêtre
ouverte à la critique depuis des mois par ce média ulraconservateur et
contrôlé par le Guide suprême. Le blog Dentelles et Tchador d'Armin
Arefi en donne un compte-rendu complet.

5. Selon des militants iraniens des droits de l’homme, les révoltes
continuent dans les prisons et notamment à Gohardasht, dans la
banlieue de Karaj, ville périphérique de Téhéran. Deux détenus ont
réussi à désarmer leurs gardiens pendant qu’ils étaient torturés avec
des matraques électriques. Ils les ont enfermés, ont libéré d’autres
détenus et pris temporairement le contrôle d’une partie de cet
établissement, qui a sinistre réputation. Les autres gardiens les ont
arrosés de gaz lacrymogènes pour reprendre le contrôle de la situation
mais les détenus ont mis le feu à leurs couvertures pour atténuer
l’effet des gaz. Les combats ont duré plusieurs heures.

6. Autres nouvelles de prison. Selon le site Khordad88, la vie
d’Ibrahim Yazdi est en danger. Cet opposant de 79 ans, membre du
mouvement séculaire et ancien ministre des affaires étrangères à la
révolution, a été arrêté pour la troisième fois en 2009 le 28
décembre. Après les élections de juin, la police était allée l’arrêter
jusque sur son lit d’hôpital. Sa famille a été priée par les autorités
pénitentiaires de lui apporter des médicaments. Autre détenu, Alireza
Beheshti, le fils d’un grand révolutionnaire et principal conseiller
de l’opposition, a souffert d’une crise cardiaque mercredi matin à la
prison d’Evin, selon la page Facebook du chef de l’opposition Mir
Hossein Moussavi.

7. Tousser pour protester. Le site de l’opposition Rahe-Sabz (voie
verte) rapporte qu’une récente allocution d’Ali Khamenei devant des
soldats a dû être interrompue, en raison des toussotements dans la
salle lorsque le Guide a critiqué l’ayatollah Montazeri. La police est
à la recherche des tousseurs.

8. Le calendrier joue un rôle essentiel dans les mouvements de
protestation en Iran. La journée des étudiants, le 7 décembre, a vu
les plus importantes manifestations et la plus violente répression
depuis des mois. La mort de l’ayatollah dissident Montazeri le 19
décembre a étendu la contestation dans la ville sainte de Qom et les
cérémonies annuelles de l’Achoura (commémoration du massacre des
chiites par les Sunnites en 860 après JC) ont poussé le régime à tirer
sur la foule.

Le 28 janvier, ce sera les quarante jours après le décès de Montazeri,
un anniversaire très importants dans les rituels iraniens. La semaine
suivante commencent les célébrations du 31e anniversaire de la
Révolution, pendant lesquelles de nouvelles confrontations sont
attendues. Le régime a d’ores et déjà demandé à la télévision de ne
pas montrer les images habituelles de manifestants contre le Shah qui
s’en prennent aux forces de l’ordre, afin d’éviter le parallèle avec
ce qui se passe aujourd’hui.

C’est tout, c’est long et pourtant qu’une petite sélection de ce qui
se passe à Téhéran. A la semaine prochaine !

Serge Michel

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